Randos VTT organisées : La grande désaffection ?

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C’était un rituel bien ancré. Le dimanche matin, des dizaines de vététistes se retrouvaient au départ d’une rando locale, café fumant à la main, sourire aux lèvres. Des bénévoles en gilet fluo fléchaient les parcours, les copains ajustaient leurs pneus, les enfants suivaient sur les boucles vertes.

C’était simple. Convivial. Humain. 😍

Mais ce paysage familier se fissure. Le nombre de randonnées VTT organisées chute, les clubs peinent à mobiliser, les bénévoles s’essoufflent, et les participants se dispersent. Pourtant, paradoxalement, certains événements explosent les compteurs : le Roc d’Azur, le Raid Scott Chemins du Soleil, la Pass’Portes du Soleil… Les inscriptions s’y ferment en quelques heures.

Alors, que se passe-t-il ? Pourquoi certains rendez-vous rassemblent les foules tandis que d’autres disparaissent du calendrier ? Est-ce une question d’organisation, de taille, ou simplement d’époque ?

🧓 Le déclin des bénévoles : un pilier qui vacille

Dans les coulisses des randonnées, tout repose sur eux : les bénévoles. Ces passionnés anonymes passent leurs soirées à flécher, débroussailler, monter des barnums, gérer les inscriptions et les assurances. Mais depuis quelques années, ce moteur essentiel cale.

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En 2024, 856 associations sportives ont été placées en procédure collective, un record depuis 2018. Les raisons sont multiples : surcharge administrative, réglementation plus lourde, démotivation et surtout, manque de relève.

“On travaille depuis octobre pour une rando en mai, et à la fin, on est juste contents de ne pas avoir perdu d’argent”, confie un organisateur.

Selon La France bénévole 2024, seuls 9 % des Français s’engagent chaque semaine dans une association, contre 12,5 % en 2010. Les jeunes générations, habituées à l’instantané, s’impliquent moins dans les structures traditionnelles. Elles préfèrent rouler quand elles veulent, avec leurs amis ou via une trace téléchargée sur les réseaux.

Résultat : les clubs vieillissent, les bras manquent, les randos s’annulent, et une partie du savoir-faire disparaît avec les anciens.

🌍 Les clubs, gardiens discrets des sentiers

On les croit organisateurs, ils sont bien plus que ça : les clubs sont les jardiniers du VTT français. Ils entretiennent les chemins, débroussaillent, construisent les passerelles, et surtout, négocient chaque passage avec les communes, les propriétaires privés ou l’ONF pour leurs événements.

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Sans eux, une grande partie des itinéraires VTT disparaîtrait. Beaucoup de sentiers empruntés pendant les randos sont interdits le reste de l’année car ils passent sur des parcelles privées, accessibles uniquement grâce aux autorisations temporaires obtenues pour l’événement.

“Les gens téléchargent la trace GPX et pensent qu’ils peuvent la refaire seuls, mais la moitié traverse des zones privées ou protégées. Sans les clubs, ces chemins n’existeraient pas”, rappelle un président de club dans la Loire.

Sur UtagawaVTT on responsabilise les pratiquants on leur indiquant qu'ils doivent respecter les autorisations de passage avant de suivre une trace GPS les yeux fermés.

Le paradoxe est cruel : le numérique a donné une illusion de liberté totale, mais cette liberté repose sur le travail invisible des associations locales. Le GPX n’est qu’une empreinte. Le terrain, lui, est vivant. Et fragile.

📅 Un calendrier sous tension

Autre facteur souvent passé sous silence : le désordre du calendrier sportif. Certains week-ends concentrent une multitude d’événements : VTT, trail, route, triathlon, randonnées pédestres. Quand d’autres périodes, notamment l’été ou l’hiver, restent désespérément vides pour le VTT.

Ce manque de coordination conduit à des chevauchements absurdes.

“On a parfois trois randos à moins de 30 kilomètres le même jour, et plus rien pendant deux semaines”, soupire un organisateur de l’Ain.

Les pratiquants doivent choisir, les bénévoles se divisent, et les participants se dispersent. Chaque club perd un peu de monde, un peu d’énergie, un peu de visibilité.

Pourtant, les outils existent et permettent de consulter les dates et lieux de randos dans toute la France.:

Mais faute de coordination ces calendriers restent consultatifs. Chacun fait au mieux dans son coin, espérant ne pas tomber le même jour qu’un trail local ou qu’une course de route.

📲 L’ère du GPS : liberté ou fracture ?

Les plateformes de traces comme UtagawaVTT, Garmin ou Strava ont révolutionné la pratique. Elles ont permis à chacun de devenir explorateur, de rouler où bon lui semble, quand il veut. C’est une révolution de la liberté. Mais aussi une fracture communautaire.

“Pourquoi payer 5 euros quand je peux télécharger la trace ?”

Cette phrase, entendue mille fois, illustre une perte de sens. Ce que beaucoup oublient, c’est que ces traces existent souvent grâce aux clubs : ce sont eux principalement qui les créent, les testent, les entretiennent, les partagent. Sans eux, les plateformes de partage de randos seraient beaucoup moins fournie.

La technologie a libéré la pratique, mais elle a aussi dilué la reconnaissance envers ceux qui font vivre le terrain. Le GPX ne remplace pas la convivialité d'une ligne de départ, ni le sourire d’un bénévole à un ravitaillement, ni les échanges autour d'une bière à l'arrivée.

⚡ Le gravel et le VTTAE : double révolution, double défi

Le gravel s’impose partout

Moins technique que le VTT, plus accessible que la route, il attire une génération en quête d’évasion douce. Ses adeptes aiment les longues distances, la photo, le voyage, les pistes roulantes.

“Beaucoup de randos VTT finissent par ressembler à des parcours gravel (VTC) des années 90”, note un participant sur vetete.com.

Face à cette vague, les clubs VTT traditionnels se retrouvent décalés. Leur ADN tout-terrain correspond moins aux nouvelles envies d’aventure et de contemplation.

Le VTTAE, démocratisation ou dérive ?

L’autre bouleversement, c’est le VTT à assistance électrique (VTTAE). Il a ouvert les chemins à des pratiquants plus âgés, moins entraînés, ou simplement curieux. Mais il a aussi changé la donne sur le terrain.

Les vitesses diffèrent, les distances s’allongent, les efforts ne sont plus les mêmes.

“On voit des VTTAE débouler en mode boost sans contrôle, ça crée des tensions”, raconte un bénévole.

Les organisateurs doivent adapter les parcours, prévoir des ravitaillements supplémentaires, et gérer la cohabitation entre vélos musculaires et électriques. Une opportunité pour élargir le public, mais un casse-tête pour les clubs déjà fragiles.

💶 Le prix : un faux débat

5 à 10 euros. C’est le tarif moyen d’une inscription à une rando VTT organisée d'un club associatif local. Pour cette somme, on obtient un café, un balisage, un ravitaillement, une assurance, parfois un repas et un lavage vélo. Peu de sports offrent autant pour si peu.

“Quand tu payes ton vélo 4000 €, difficile de dire que 5 € pour une rando, c’est trop cher”, sourit un organisateur du Jura.

Le problème n’est pas le prix, mais la perception de la valeur 💎. Les pratiquants, biberonnés à la gratuité numérique, oublient que ces 5 euros financent simplement des coûts directs pour les ravitaillements. Les heures de travail bénévole, de préparation et d’entretien des sentiers sont eux gratuits, financés par la passion des organisateurs. Derrière chaque flèche orange, il y a un club, des mains, et une histoire.

🐘 Les mastodontes du succès et les artisans de la passion

Les grandes machines

À contre-courant de la tendance, certains événements battent des records. Le Roc d’Azur ou la Pass’Portes du Soleil remplissent leurs quotas en quelques jours. Leur secret : une expérience totale, parcours renouvelés, villages exposants, concerts, animations, restauration locale et communication millimétrée.

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Mais ces mastodontes bénéficient aussi d’un écosystème solide :

  • des subventions publiques importantes (directes ou indirectes), car ils servent le rayonnement touristique des territoires ;
  • et des partenariats de marques attirées par la visibilité de tels rassemblements.

Un modèle efficace, mais fragile : la tension économique du secteur du vélo pousse aujourd’hui les marques à réduire leurs budgets marketing, tandis que plusieurs collectivités locales revoient leurs subventions à la baisse.

Le “petit poucet” parmi les grands : le Raid Scott Chemins du Soleil

Face à ces géants, le Raid Scott Chemins du Soleil fait figure d’exception inspirante.

A l'organisation, Stéphane, parle avec fierté d’un modèle différent :

Notre succès est à mettre en miroir des mastodontes. Nous restons une petite structure, dix personnes au cœur du projet. On mobilise une trentaine de bénévoles, puis on complète localement. Nous tendons vers une "professionnalisation" du bénévolat : c’est aujourd’hui un atout pour motiver les plus jeunes.

Le secret de leur longévité ? Un format unique en France et en Europe : du XC marathon à étapes, une convivialité réelle, une proximité avec les prestataires et les participants, et des sentiers “aux petits oignons” 🧅, entretenus avec soin.

En 20 ans, nous avons constamment adapté notre offre. Notre objectif, à court terme, c’est l’autonomie financière. Il faut un peu de volume de dossards, mais on limite volontairement le nombre de places pour le confort des participants. On évite le modèle d’épreuve de masse. Devenir un mastodonte, ce serait perdre notre proximité et notre bienveillance.

Le Raid Scott Chemins du Soleil illustre ce que beaucoup appellent aujourd’hui le “modèle résilient” : une organisation artisanale, humaine, mais rigoureuse, qui s’appuie sur la passion, l’adaptation, et un lien fort avec le territoire.

L’exemple de la Nocturne des Grenouilles 🐸

À l’opposé des grands événements, certains petits clubs prouvent qu’il est possible de réussir autrement. La Nocturne des Grenouilles à Simandres (Rhône) en est le meilleur exemple. Un concept simple : rouler la nuit 🌛, à la lampe frontale, dans une ambiance spéciale.

Le club y a associé trail et rando pédestre nocturne, offrant une expérience sensorielle unique et ouverte à tous. Organisation millimétrée, accueil convivial, sécurité maîtrisée, démocratisation. Résultat : inscriptions closes chaque année, et une communauté fidèle.

La preuve qu’avec de la créativité, de la rigueur et du cœur, on peut séduire sans moyens démesurés.

💡 Vers un renouveau du VTT associatif ?

Les clubs qui s’en sortent sont ceux qui innovent. Ils proposent des formats hybrides, des parcours différenciés (VTTAE, musculaire, gravel), des formules à la carte ou des ravitos premium à base de produits locaux. Certains expérimentent la mixité des pratiques : VTT + trail + marche.

Mobiliser les institutions

Le ministère des Sports a lancé en 2024 un plan de soutien au bénévolat, avec formations et aides financières pour les petites associations (sports.gouv.fr). Les fédérations multiplient les labels pour valoriser les organisations exemplaires. Des signaux encourageants, mais encore timides.

🚀 Redonner du sens

Au-delà des chiffres, il s’agit de retrouver l’essence du VTT : le plaisir du partage. Rouler ensemble, découvrir, rire, s’entraider. Car sans cette dimension humaine, la pratique devient une simple trace sur GPS.

“Sans les clubs, il n’y aurait plus de sentiers, plus de passages, plus d’âme. C’est eux, le cœur du VTT.”

La désaffection des randos VTT n’est pas une fatalité. Elle reflète une mutation : celle d’un sport qui se cherche entre liberté individuelle et aventure collective.

Les clubs qui sauront écouter, s’adapter et innover continueront d’attirer. Les autres devront évoluer ou passer la main.

Parce qu’au fond, le VTT n’est pas qu’un sport : C’est un lien entre les gens, les territoires et la nature.

Et sur les chemins comme dans la vie, le plus beau single, c’est encore celui qu’on partage.

Crédits 📸 : A.S.O./Aurélien Vialatte

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